L’action en responsabilité en cas d’insuffisance d’actif : obligation de démontrer une faute de gestion antérieure au jugement d’ouverture et du montant de l’insuffisance

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À titre liminaire, il convient de rappeler que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif est une notion moralisatrice au cœur des affaires.

C’est dans ce cadre qu’en cas de défaillance d’une entreprise débitrice, il est légitime de mettre en cause l’incidence des fautes des dirigeants et leurs responsabilités en vue de réparer le préjudice causé aux créanciers.

Poursuivant cette logique, dans un arrêt du 6 mars 2024, la Cour de cassation s’est prononcée sur les obligations incontournables pour engager la responsabilité des dirigeants d’une société en liquidation en cas d’insuffisance d’actif.

Il ressort de la décision susvisée qu’une société au départ présidée par un père et ensuite repris pas fils a été mise en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire par jugement du 11 septembre 2017.

Par les actes du 24 et du 25 mai 2018, le liquidateur assigne père et fils, en leur qualité de présidents successifs, mais également concernant le fils en sa qualité de dirigeant de fait pour la période postérieure au 1 er  janvier 2017, en responsabilité pour insuffisance d’actif de la société.

Il leur était reproché une absence de tenue de comptabilité, un détournement d’actif et un défaut de paiement des dettes sociales et fiscales.

En seconde instance la Cour d’appel d’Aix-en-Provence en date du 2 juin 2022 a mis la société en redressement judiciaire, puis a converti la procédure en liquidation judiciaire.

Un pourvoi a été interjeté afin de voir les Juges de la Cour de cassation se prononcer sur les critères pour engager la responsabilité pour insuffisance de l’actif.

C’est dans ce sens que dans sa décision du 6 mars 20241, la Cour cassation casse l’arrêt de la cour d’appel et rappelle que seules des fautes de gestion antérieures à l’ouverture de la procédure collective peuvent être prises en compte pour engager la responsabilité du dirigeant en cas d’insuffisance d’actif. A contrario, dans le cas où les fautes de gestions seraient postérieures à la procédure, on comprend alors, qu’il ne sera inenvisageable d’engager la responsabilité du gérant de la société. 

En effet, comme le rappel le code de commerce2 , « les fautes de gestion antérieures à l’ouverture de la procédure collective peuvent être prises en compte pour engager la responsabilité pour insuffisance d’actif du dirigeant fautif ».

Qu’importe la faute de gestion reprochée aux dirigeants, ladite doit être commise antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective3 .

En ce sens, il ne peut donc en être autrement puisque l’insuffisance d’actif qui en résulte doit être antérieure ou concomitante à l’ouverture de la procédure collective.

La jurisprudence s’est également prononcée en vue des cas dans lesquels un redressement judiciaire a précédé la liquidation. De ce fait, on retrouve la possibilité de caractériser une faute de gestion commise par le gérant durant la procédure de redressement, qui puisse être source de responsabilité pendant la liquidation judiciaire. On distingue de facto deux cas de figure.

D’une part, si un plan de continuation est adopté à l’issue de la période d’observation et qu’un nouvel état de cessation des paiements survient, entraînant une liquidation, la faute de gestion commise durant la période d’observation du redressement judiciaire ou durant l’exécution du plan peut être retenue, à condition qu’elle soit antérieure au jugement de liquidation judiciaire subséquent4.

D’autre part, lorsque le redressement est converti en liquidation, la question s’est posée de savoir si une faute de gestion pouvait être caractérisée pendant la période d’observation du redressement. La Cour de cassation5 a répondu par la négative. Effectivement, la faute n’est pas antérieure au jugement d’ouverture de la procédure collective de redressement, car le jugement de conversion en liquidation n’initie pas une nouvelle procédure.

Ainsi, Cour de cassation dans son arrêt du 6 mars 20246 précise que la faute de gestion est limitée dans le temps, ne concernant que les actes et les faits antérieurs au jugement d’ouverture. Nonobstant, il existe une seule exception concernant les actes postérieurs7, réservée à la sanction professionnelle de la faillite personnelle. Dans ce cas, les juges peuvent alors prendre en compte un comportement postérieur au jugement d’ouverture si le dirigeant ou le débiteur, en refusant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, entrave son bon déroulement.

L’enseignement à retenir de cet arrêt est que la notion de moralisation retrouvée dans la vie des affaires, visée par l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, connaît deux limites :

  • D’une part, une limite temporelle pour l’analyse des fautes de gestion. Effectivement, la responsabilité du dirigeant en cas d’insuffisance d’actif d’une société en liquidation judiciaire ne peut être engagée que pour des fautes de gestion commises antérieurement à l’ouverture de la procédure collective.
  • D’autre part, une limite quant au montant de la condamnation. En effet, la condamnation d’un dirigeant sur le fondement du texte susvisé est subordonnée à l’existence d’une insuffisance d’actif certaine, laquelle détermine le montant maximal de la condamnation susceptible d’être prononcée.

Pour en savoir plus sur cette question, nous sommes à votre disposition pour vous accompagner et vous assister pour tout litige relatif à la responsabilité des dirigeants en cas d’insuffisance d’actif. 

  1. Com. 6 mars 2024, F-D, n°22-21.584 ↩︎
  2. Article L. 651-2 du Code de commerce ↩︎
  3. Com. 27 févr. 1978, D. 1978 – Com. 18 mars 2008, n o  02-21.616, – Com. 29 nov. 2016, n o  15-10.466 ↩︎
  4. Com. 22 janv. 2020, n o  18-17.030 ↩︎
  5. Com. 8 mars 2023, n o 21-24.650 ↩︎
  6. Com. 6 mars 2024, F-D, n°22-21.584 ↩︎
  7. C. Com, art, L. 653-5, 5° ↩︎